sexta-feira, 14 de setembro de 2007

La fin de l'état de transe, par Patrick Jarreau

Il y a donc un premier ministre, puisque le président de la République a fait savoir qu'il s'entendait très bien avec lui? C'est une bonne nouvelle pour François Fillon, qui se demandait si le poste qu'il occupait n'avait pas été supprimé sans qu'on ait pensé à le prévenir. C'est une bonne nouvelle aussi pour les ministres. A quoi sert-il en effet d'être au gouvernement s'il n'y a pas vraiment de gouvernement, mais seulement des super-chefs d'administration exécutant les consignes que leur transmet Claude Guéant?

Nicolas Sarkozy a dû admettre qu'il existait des ministres. Peut-être s'est-il souvenu que Claude Guéant en avait annoncé la nomination sur le perron de l'Elysée. Rachida Dati, par exemple, n'est pas seulement une "soeur" de Cécilia Sarkozy qui logerait place Vendôme, mais la ministre de la justice, comme le rappellent avec insistance les membres de son cabinet, qui en partent, et les magistrats, qui n'en reviennent pas. Christine Lagarde est certes cette femme élégante que le président Sarkozy a posée au sommet du ministère des finances sous les applaudissements du genre féminin ébahi et reconnaissant. Qui osera dire le contraire? Mais il se trouve qu'elle croit être vraiment ministre, qu'elle se rend dans des émissions radiotélévisées où il est courant d'interroger des ministres et qu'elle répond. Elle parle, par exemple, d'un "plan de rigueur" pour les fonctionnaires.

Les hommes et les femmes dont Claude Guéant a communiqué la liste au pays ne sont donc pas seulement des gens qui surgissent devant les caméras chaque fois que se produit un accident, que souffle un ouragan ou qu'un ciboire est volé dans une cathédrale. Leur rôle ne se borne pas à animer la vitrine pendant que les gens sérieux, autour du président, font tourner la boutique. Ce sont des responsables politiques, tenus de prendre des décisions dans leurs domaines de compétence, d'y réfléchir et d'en répondre. S'ils ne le faisaient pas, la boutique ne serait qu'une vitrine, justement, exposant de faux articles en carton-pâte.

La réapparition des ministres sonne la fin de quelque chose. Etat de grâce? Si tant est que cette expression ait jamais eu un sens en politique, elle convient mal à ce que l'on avait pu observer depuis le 16 mai, date de l'entrée de M. Sarkozy à l'Elysée. Ce furent plutôt quatre mois fébriles, agités, frénétiques. Un état de transe. Il paraît bien s'achever, comme cette chronique, à son tour, s'en avise et en témoigne. Les courbes de sondages s'inclinent vers le bas. La croissance se refuse. Les Allemands ne cachent pas que le président français les fatigue, surtout quand il se mêle de leur dire comment produire leur électricité. François Fillon se permet d'avoir un avis sur les régimes spéciaux de retraite. Et Brice Hortefeux, sarkozyste historique, insoupçonnable, inoxydable, convoque des préfets de manière à faire savoir sournoisement que l'objectif d'expulsions d'étrangers en situation irrégulière fixé par le chef de l'Etat est irréaliste.

Mais il y a plus. Le président Sarkozy lui-même marque le pas. Il a retardé d'une semaine la publication du nouvel opus d'Henri Guaino : après la leçon aux Africains et l'adresse aux enseignants, le discours aux fonctionnaires. La fin des régimes spéciaux, aussi cruciale pour les électeurs de droite que le service minimum dans les transports publics, perd de son urgence. Comme hier le contrat travail unique et, maintenant, la TVA sociale.

Quand le Front populaire avait gagné les élections, en 1936, le principal gauchiste du Parti socialiste d'alors, Marceau Pivert, s'était écrié : "Tout est possible !" Mais le député du Nord Bracke-Desrousseaux, professeur de grec à la Sorbonne, se réjouissait pour la raison inverse. "Enfin, les difficultés commencent !", disait-il. Nicolas Sarkozy, qui aime citer les grandes figures de la gauche, devrait peut-être reprendre cette phrase à son compte.

Patrick Jarreau pour Le Monde

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