Lionel Jospin égal à lui-même, par Patrick Jarreau
-t-il décidé d'accompagner la campagne du gouvernement pour l'emploi des "seniors", voire pour l'allongement de la durée de cotisation nécessaire avant de liquider sa retraite ? A 70 ans, le pas alerte et l'esprit clair, Lionel Jospin vient expliquer aux socialistes ce qui leur arrive et à la moitié des Français comment ils ont perdu l'élection présidentielle. C'est un événement.
Chez les socialistes, pour qui l'analyse est aussi importante que l'action, il ne manque pas d'intelligences affûtées. Les réflexions d'un Laurent Fabius, d'un Dominique Strauss-Kahn, d'un Jean-Christophe Cambadélis, d'un François Hollande sont toujours, ou presque toujours, éclairantes et instructives. Aucun pourtant n'atteint la précision, la concision, l'efficacité de l'ancien premier secrétaire. Affaire de goût ? Peut-être, mais pas seulement. Il y va d'une juste appréciation des composantes d'une situation politique. Dans celle que connaît aujourd'hui la gauche et, au-delà, le pays, le livre de Lionel Jospin, intitulé L'Impasse (Flammarion, 142 p., 12 €), pèse.
Ce n'était pas gagné d'avance. Il ne suffit pas de s'appeler Lionel Jospin pour produire un ouvrage qui touche juste et qui aide ses lecteurs à s'orienter. La question est alors de savoir pourquoi il y réussit mieux que d'autres. Et l'on retrouve cette donnée mystérieuse qui fait qu'un responsable politique ne peut dire ce qu'il dit que parce qu'il est là où il est. Sa situation singulière ne limite ni l'authenticité ni la portée de son propos. Elle en est au contraire la condition. Parce qu'il adhère à la position où lui-même et l'histoire l'ont mis, il peut proposer une analyse qui n'est pas seulement ni d'abord un discours de justification.
L'ancien premier ministre revient donc, invariablement, à l'échec - son échec - de 2002 quand il cherche à expliquer celui de 2007. Mais, loin de produire une répétition lassante des reproches qu'il adressa alors à ses alliés, aux socialistes et finalement aux électeurs, il trouve dans ce retour la source d'un renouveau : au lieu de renier ce qu'elle avait fait au gouvernement pendant cinq ans, la gauche aurait dû s'en prévaloir pour démontrer la nullité du bilan de la droite ; les bases d'un socialisme d'aujourd'hui se trouvent dans ce que les socialistes ont accompli de 1997 à 2002. Tout aussi invariablement, le point aveugle de cette démonstration reste la responsabilité personnelle de l'auteur dans la dévalorisation de son action au pouvoir.
S'agit-il d'un règlement de comptes avec Ségolène Royal ? La réponse est oui et non. Même s'il peint, au total, un portrait implacable de la candidate à l'élection présidentielle, ce n'est pas la personne qui est en cause. Lionel Jospin a avec elle un différend politique, et plus encore un différend sur la politique. Les pages consacrées à la campagne électorale explicitent cette opposition davantage qu'elles ne s'attardent sur la conduite ou le caractère de celle qui portait les couleurs du PS.
Le livre est bien plus cruel pour François Hollande, que Lionel Jospin avait choisi, en 1997, pour lui succéder à la tête du parti et qui l'a dirigé pendant dix ans sans parvenir à s'imposer comme un vrai dirigeant. "Le premier dirigeant d'un parti prépondérant dans un régime présidentiel devait, au bout de dix ans, devenir le candidat de son parti - sauf s'il n'était pas devenu vraiment son leader, comme ce fut le cas", résume l'ancien "leader", à la page 118, comme s'il avait hésité longtemps avant de formuler ce constat accablant pour tous les socialistes et pour lui-même.
C'est au fond cette défaillance qui a ouvert l'espace du livre publié aujourd'hui. C'est elle, aussi, qui amène à se demander si Lionel Jospin entend se borner à constater l'absence de leadership au PS, et donc à gauche, ou s'il se propose d'y pourvoir, et dans ce cas comment.
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