Ségolène Royal, une femme politique pas comme les hommes
Par Rue89
Il y a quelque chose d’incongru à lire aujourd'hui le livre de Ségolène Royal, "Ma plus belle histoire, c’est vous" (Grasset). A-t-elle délibérément choisi ce titre en référence aux dix ans de la mort de la chanteuse Barbara? Voulait-elle montrer qu'elle aussi était une femme qui avait souffert?
Au-delà du titre, l’ex-candidate adepte de Barbara quelques piques et pleurs. Une force aussi. Cette façon de diriger son public d'une voix qui mélange ordres et protection (rappelons-nous Barbara ordonnant à son public d’applaudir l’auteur d’un texte qu’elle venait d’adapter en live lors de son concert au Châtelet, en 1993). Etrangement, c’est en écoutant Barbara qu’on lira le plus opportunément le livre.
La force
Mais fi de tout angélisme. Fi du fait que, in fine, ce livre ne contient pas de révélations dignes de ce nom, autres que le refus de François Bayrou d'honorer ce rendez-vous que Ségolène Royal prétend avoir reçu de lui. Ce que la candidate tente de montrer ici, c’est bien une force. Une force de femme/candidate.
Elle a "hésité longuement à parler" d'un autre François. Hollande, évidemment. Et puis elle se lance. Deux pages très intimes. Trop intimes d'ailleurs pour être écrites entièrement à la première personne.
La vie politique -"Pendant la campagne, la candidate se disait: demain c'est le bon jour, il va basculer vers moi. (...) Et ce jour n'est jamais venu."- se mêle à la vie privée -"une humiliation secrète, une douleur parfois aiguë".
L'humeur est également aux règlements de compte: "Quand François Hollande récemment a parlé de revenir, je lui ai dit que ce n'était pas une bonne idée." Mais elle ne peut clore ce chapitre, comme tous les points du livre, sans parler d'espoir, de 2012... et de sa condition de femme:
"Oui, pour gagner la prochaine fois, il faudra le soutien de tout un parti et d'un compagnon amoureux, à fond avec la candidate."
En attendant, contrairement à ce qu’elle dit ici, contrairement à ce qu’a écrit Claude Bartolone dans "Une élection imperdable" (L'Archipel), il apparaît clairement qu’elle ne pouvait pas gagner cette élection. L’appareil du PS était contre elle. DSK et Laurent Fabius étaient contre elle, ou au mieux levaient les yeux au ciel durant les meetings ("Et pourtant je ne lévite pas", ironise-t-elle). Lionel Jospin aura été lui "un procureur impitoyable".
Elle pense aussi avoir été rejetée "comme on rejette la différence: moi et mes lectures, Anselm Grün et la poésie, Jack Kerouac. Moi et mon goût des paradoxes".
Face à la machine de guerre UMP, Ségolène Royal ne pouvait pas non plus gagner:
"D’une certaine manière, Sarkozy a tout mis sur la table. J’ai incarné la nouveauté, mais il a incarné la force."
Et pourtant, elle sait faire la guerre. Et elle en a, de la force. Ce livre le montre. Ségolène Royal sait faire la guerre parce que Ségolène Royal est une mitterrandienne. C’est pourquoi, et c’est là tout le but de son ouvrage, elle sait qu’elle reviendra. Bientôt, peut-être, comme Mitterrand après 1965, saura-t-elle mieux faire la guerre. Bientôt, peut-être, comme Mitterrand, parviendra-t-elle à achever l'implosion du PS pour mieux le reconstruire.
L’humour
"J’étais sorcière, tu me voulais câline." Cette simple phrase de la chanteuse défunte semble désigner la Ségolène Royal qui se lance dans les primaires socialistes en 2006. Pas d’information capitale donc, mais une analyse de l’intérieur de la campagne qui recèle quelque indication sur l’appareil d’un parti.
"Ma plus belle histoire, c’est vous" est un plat livré avec sa sauce piquante. Evénement inattendu, incroyable: Ségolène Royal a de l’humour. Un humour pincé, mais qui contient sa dose de sagesse. Une autodérision qui semble avoir généré cet ouvrage. Une sagesse qu’elle semble avoir acquise en déviant les frappes des éléphants du PS. Quand Michel Rocard vient exiger, sûr de son fait, qu’elle se désiste en sa faveur, elle amortit:
"Je me suis inventé, dans ces circonstances, un regard d’ethnologue. Je me mets en situation d’observation, comme si j’étais face à une tribu étrange, ou en voie de disparition, et donc passionnante à observer."
L'identification
"Depuis le 6 mai 2007, j'y ai souvent repensé, je me suis souvent interrogée: être une femme dans cette élection majeure, est-ce que ça a pesé?" Ségolène Royal est une femme et s'interroge tout le long de son livre-bilan. Rien n'y échappe. Aucun fait de campagne n'est éclairé à un moment ou à un autre par le prisme de la féminité. Derrière chaque coup bas, un soupçon de machisme. A tort ou à raison? La réponse est laissée à l'appréciation des (é)lecteurs.
L'ex-candidate socialiste à la présidentielle y consacre même la totalité de l'une des cinq parties de l'ouvrage. Au titre évocateur: "L'autre moitié du ciel: candidate mais femme." Encore une histoire de titre. Après celui du livre, celui qui recense les attaques sur son sexe chante également et parle de lui-même: "Etre une femme candidate, c'est pas si facile..."
Ces attaques, elle les a retenues et les retiendra longtemps. Elle ne résiste pas à les rappeler, à les donner en pâture aux lecteurs. Elle les appelle de simples "écarts de langage" pour mieux souligner leur gravité:
"Qui va garder les enfants?"
"Et pan dans le popotin, comme la mère Merkel"
La présidentielle "n'est pas un concours de beauté"...
... ou "une question de mensurations"
Elle revient sans cesse à la charge: "Je le maintiens: le fait d'être une femme, ça a compté." Ça compte en tout cas pour elle. Elle a consacré à ces femmes une part majeure de sa campagne, elle leur réserve moult développements de son livre. Aux "caissières assujetties à des horaires irréguliers et à une amplitude journalière qui excède leur temps de travail faiblement rémunéré". A toutes les "travailleuses pauvres": "Sur 8,4 millions de salariés qui n'atteignent pas le smic, 80% sont des femmes."
Aussi politiques soient-ils, les faits de campagne deviennent sexués. Quand Michel Rocard déboule dans son bureau, elle ne peut s'empêcher de penser:
Quand elle se fait éconduire par le président du MoDem, elle écrit:
On est, nous aussi, en droit de s'interroger: quelles n'auraient pas été les réactions féministes, si un homme avait couché noir sur blanc: "Comme une amoureuse qui craint un manque de libido"?
L'objectif
"Dis, quand reviendras-tu?", chantait la dame en noir. L'ex-candidate, elle, le sait. Du moins, elle le veut. L’objectif est clair. Il n’a jamais été secret: 2012.
C’est la seconde partie du livre, très intéressante. Celle où elle sort de son personnage. Pour invoquer une véritable politique à visage féminin. Une politique où les femmes n’oublient pas les femmes (Miss Thatcher en prend alors pour son grade, elle qui les avait oubliées). Une politique à la Olympe de Gouges, à la Michelle Bachelet, à la Maria Teresa de la Vega (numéro deux du gouvernement Zapatero), à la Tarja Halonen (présidente finlandaise). Une politique où "le jour se lève encore".
Par ses vues, par son humour (citer le poète Henri Michaux pour excuser et cautionner le coup de la "bravitude"), par ses références littéraires, l’ex-candidate montre un aplomb peu vu dans la campagne.
Ce livre a quelque chose d’incongru: auto-centré et altruiste, auto-ironique et snob. On ne sait toujours pas exactement où Ségolène Royal se situe politiquement, mais on sait qu’elle veut avoir une vision du futur politique. Ce qui est sûr, quoiqu’on pense de son auteur, c’est qu’il ne s’agit pas d’un objet de luxe, qu'elle a souffert pour l'écrire, qu'elle tenait à l'écrire.
Aucune phrase ne semble mieux définir l’ex-candidate que ces paroles de... Barbara:
"Pour qui comment et pourquoi? Contre qui comment et pourquoi? S’il faut absolument qu’on soit pour quelqu’un ou quelque chose..."
Hubert Artus et Julien Martin
► "Ma plus belle histoire, c’est vous" de Ségolène Royal, Grasset, 335 pages, 19,50 euros.
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