quarta-feira, 3 de outubro de 2007

La gauche mexicaine cherche une stratégie, par Joëlle Stolz

L'irruption tonitruante, sur la scène politique mexicaine, d'une guérilla d'extrême gauche capable de réaliser des attentats dévastateurs pour l'économie a sonné l'alarme au sommet de l'Etat, déjà confronté aux narcotrafiquants. Mais elle ébranle aussi une gauche tiraillée entre un courant qui veut négocier son appui aux réformes du président Felipe Calderon, et un autre qui maintient une ligne de rupture avec le gouvernement conservateur. L'explosion, les 5 et 10 juillet, puis avec plus d'ampleur le 10 septembre, de charges placées à des points vulnérables des canalisations de la Pemex, la société nationale d'hydrocarbures, a été revendiquée par l'Armée populaire révolutionnaire, l'EPR.

Apparu en 1996, l'EPR est l'héritier d'un mouvement plus ancien, le Parti révolutionnaire ouvrier clandestin-Union populaire, que l'on soupçonne d'avoir abattu des militants qui avaient renoncé à la lutte armée. Ces dernières années, l'EPR ne s'était manifestée que par des communiqués et des bombes rudimentaires, déposées dans des lieux publics à des heures où elles ne risquaient pas de faire de victimes.

La crise déclenchée par le scrutin présidentiel du 2 juillet 2006 - la gauche refusant de reconnaître la victoire de M. Calderon - a remis sur le pied de guerre la petite dizaine d'organisations clandestines qui coexistaient au Mexique, dans les Etats déshérités d'Oaxaca et du Guerrero, ainsi qu'autour de la capitale. Après l'étouffement par les forces fédérales de la "Commune d'Oaxaca", fin novembre 2006, elles ont fait le constat que "la voie pacifique" pour une transformation de la société semblait "définitivement bloquée". Le conflit d'Oaxaca reste un foyer mal éteint : l'EPR présente sa nouvelle offensive comme une réaction à la disparition de deux de ses membres, fin mai à Oaxaca, et désigne comme responsable le gouverneur de cet Etat, Ulises Ruiz.

Les attentats de l'été, commis dans les Etats centraux de Guanajuato et de Queretaro, puis dans celui de Veracruz, sur la côte atlantique, indiquent un changement d'échelle. Jamais l'EPR n'avait agi si loin de ses bases ni fait preuve d'une telle sophistication. Ce saut qualitatif a nourri bien des hypothèses, depuis des complicités à l'intérieur de la Pemex jusqu'à une opération de la CIA pour "déstabiliser" le voisin immédiat des Etats-Unis - sans doute la dernière chose que souhaiterait Washington -, en passant par une diversion favorable aux "narcos".

Selon une source proche des enquêteurs, les récents attentats, réalisés avec des explosifs disponibles dans le secteur de la construction, portent la patte de l'EPR, même s'ils supposent un entraînement spécial. Par des membres de l'ETA basque réfugiés au Mexique ? Des guérilleros colombiens ? D'anciens militaires mexicains ? L'unique certitude est l'impact obtenu : pas un blessé, mais un maximum de dégâts matériels, entraînant pendant une semaine une baisse de 25 % de l'approvisionnement en gaz et la paralysie de milliers d'entreprises, jusqu'aux usines sidérurgiques de la côte pacifique. L'EPR y a gagné en notoriété, notamment auprès des secteurs de l'opinion qui croient que seule la lutte armée peut aboutir à un réel changement, soit 15 % des Mexicains, selon un sondage de 2006. Même s'il faut relativiser aujourd'hui ce chiffre, il révèle un réservoir de sympathie pour la guérilla parmi ceux qui avaient voté pour le candidat présidentiel de la gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, dit "Amlo".

Signe des temps, l'Armée zapatiste de libération nationale, l'EZLN du "sous-commandant" Marcos, en net retrait depuis plus d'un an, a exprimé sa solidarité avec l'EPR tout en dénonçant avec virulence la gauche "institutionnelle, qui n'est qu'une droite honteuse", et la complicité de celle-ci, au Chiapas, avec le harcèlement des communautés zapatistes. "Amlo", qui sillonne le pays pour fédérer les mécontents, a réitéré son attachement à une opposition non violente. Se gardant de l'attaquer, l'EPR a concentré ses critiques contre la présidente de la Chambre des députés, Ruth Zavaleta, membre comme "Amlo" du Parti de la révolution démocratique (PRD), mais figure de proue du courant prêt à composer avec le gouvernement. Le fossé se creuse entre une gauche institutionnelle, engagée dans la dynamique du travail parlementaire, et la base "lopezobradoriste" qui l'accuse de "traîtrise".

CONTRE LES "CHUCHOS"

La première, autour du courant Nouvelle Gauche, dit des "Chuchos", domine la direction nationale du PRD, et contrôle les groupes parlementaires fédéraux (Sénat et Chambre des députés) et l'Assemblée législative de la capitale. Elle se targue d'avoir négocié avec la droite, en échange de la réforme fiscale, une loi qui rogne l'influence des chaînes de télévision commerciale et autorise les candidatures indépendantes. Et elle a obtenu le remplacement des conseillers de l'Institut fédéral électoral, dont l'opposition avait blâmé la partialité durant la crise de 2006.

Mais ses adversaires viennent de lancer la bataille : c'est un proche d'"Amlo", Alejandro Encinas, qui briguera contre les "Chuchos" la direction du PRD lors de son prochain congrès, en mars 2008. Il a reçu le soutien du maire de Mexico, Marcelo Ebrard, fort de l'énorme appareil de la capitale. Malgré tout, M. Encinas croit possible de préserver un front commun. Après l'élection frauduleuse du président Carlos Salinas en 1988, "le salinisme a réussi à incorporer des forces de gauche" à son projet de libéralisation économique, rappelle-t-il. "Je ne vois rien de tel aujourd'hui", ajoute-t-il. M. Encinas minimise la demi-douzaine de défaites subies par son parti depuis un an dans des scrutins régionaux, la plus significative étant celle d'Oaxaca, où ses représentants se sont laissé corrompre par M. Ruiz, et où l'opposition a choisi l'abstention massive. Le PRD risque même de perdre, le 11 novembre, son bastion du Michoacan, fief de la famille Cardenas.

L'opposition voit surtout lui échapper une partie de son argumentaire, intégré à la rhétorique gouvernementale. M. Calderon a pris soin de se réconcilier avec Cuba et le Venezuela de Hugo Chavez, deux images sensibles pour la gauche. Le 21 septembre, il a asséné à des chefs d'entreprise médusés un discours stigmatisant les fortunes "construites sur le sang et la douleur de la moitié des Mexicains", ou encore la "médiocrité" d'élites auto-satisfaites. Prise entre le feu de la guérilla et l'onction du langage présidentiel, la gauche mexicaine peine à arrêter une stratégie qui ne soit pas seulement la politique du pire : miser sur l'échec des réformes.

Joëlle Stolz

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