De Goya à Yue Minjun, deux siècles d'art contre l'exécution
Par Pierre Haski (Rue89)
Voici le tableau le plus cher de la peinture chinoise contemporaine. Mais c'est surtout une toîle qui a une histoire. "Execution", de Yue Minjun, est directement inspiré par la répression du mouvement démocratique de la place Tiananmen en 1989, mais plonge aussi dans l'histoire de l'art: Manet et Goya.
Ironiquement, l'artiste, devenu une des stars de l'art contemporain chinois, est quelque peu embarrassé aujourd'hui par la référence à Tiananmen. Lorsque le tableau a été vendu à un collectionneur jusqu'ici anonyme (voir son interview sur CNN) par une galerie de Hongkong en 1995, une des conditions de la vente était qu'il ne devait pas être montré en public, sous peine de mettre en danger l'artiste.
Vendredi, la toîle a été mise en vente chez Sotheby's, à Londres, atteignant le prix record, pour une peinture chinoise contemporaine, de 4,1 millions d'euros.
Même si le contexte a changé et si l'artiste ne risque rien en raison de sa notoriété, il a tenu à prendre ses distances avec le thème de son oeuvre. "Je ne veux pas que le public pense à un lieu ou à un événement", a-t-il dit à CNN, avant de nier que le mur rouge dans le fond de sa peinture soit celui de la Cité interdite, sur la place Tiananmen... "Cette peinture exprime mes sentiments, ce n'est pas une critique", ajoute-t-il. Des précautions certes compréhensibles, mais qui ne trompent personne sur la nature de sa peinture.
D'autant que celle-ci s'inscrit directement, et délibérément, dans une page de l'histoire de l'art, en continuité d'oeuvres de protestation politique et de forte émotion collective exprimées par de grands artistes. Ainsi, Yue Minjun s'est directement inspiré de "L'Exécution de Maximilien", d'Edouard Manet, peint en 1867 en référence à l'exécution de Maximilien de Habsbourg par un peloton d'exécution républicain à Mexico.
Et Edouard Manet s'était lui-même explicitement inspiré de l'un des tableaux les plus célèbres de Francisco Goya, "Tres de Mayo", qui met en scène des soldats français exécutant des Madrilènes en 1808, en représailles contre la mort d'hommes de Napoléon dans des émeutes.
Mais à la différence des exécutés de Manet et de Goya, ceux de Yue rigolent, comme tous les personnages des tableaux de ce peintre chinois. Un rire en forme de défi aux fusils des bourreaux, qui ne sont d'ailleurs pas représentés sur sa peinture. Une pirouette géniale face à la peine capitale dont la Chine, rappelons-le puisque l'artiste ne le fait pas, détient le record du monde.
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