sábado, 25 de agosto de 2007

La cyberbigamie, nouvelle cause de divorce

Le Monde
Ric Hoogestraat est un homme de 53 ans, queue de cheval grisonnante, moustache en guidon de vélo, look biker sur le retour. M. Hoogestraat habite Phoenix, Arizona. Il a fait un tas de métiers : instituteur, professeur de ski, marchand itinérant d'huiles essentielles, graphiste sur ordinateur. Maintenant, il est opérateur dans un centre d'appels téléphoniques. Un travail qui lui laisse du temps libre.

Il s'est remarié pour la troisième fois voilà sept mois. Sa nouvelle épouse, Sue, 58 ans, regarde la télévision dans le salon, pendant que Ric emmène une rousse incendiaire sur sa moto pour une longue course, cheveux au vent, dans les collines.

M. Hoogestraat est bigame, ce qui lui a valu un long article dans le très sérieux quotidien américain de la finance, The Wall Street Journal. Bigame, enfin, pas vraiment. Virtuellement bigame. Cet Américain moyen fréquente en effet assidûment Second Life, cet univers étrange situé quelque part dans le cyberespace où se téléportent plus de huit millions de Terriens, et chaque jour il en débarque davantage. On a déjà beaucoup écrit sur Second Life (notamment dans Le Monde 2 du 2 décembre 2006, et ici même sous la plume de Jean-Michel Dumay, le 30 avril), ersatz de planète Terre qui petit à petit se meuble - en faux - de tout ce qui nous casse les pieds - en vrai (spéculation, banques, boutiques de marques, publicité, ciné porno, meetings politiques, cabinets de recrutement...). Avoir une épouse dans chaque monde est une situation de plus en plus fréquente, qui pose des questions nouvelles et intéressantes sur les plans psychologique et juridique.

Dans Second Life, Hoogestraat s'appelle Dutch Hoorenbeek. Il s'est fabriqué un avatar qui lui ressemble, mais, sans lui faire injure, en plus jeune et en mieux. Il en a profité pour changer de métier et s'est lancé dans le business avec succès. Dans sa seconde vie, il possède plusieurs boutiques, un club de plage privé et un dancing. Il est à la tête d'une petite fortune d'environ 1,5 million de linden, l'unité monétaire du lieu, soit environ 6 000 dollars réels.

Il a rencontré Tenaj Jacklope chez des amis avatars, et cette jolie rousse lui a tapé dans l'oeil. En chair et en os, elle s'appelle Janet Spielman et elle est beaucoup moins sculpturale que son double, mais ce n'est pas l'important. Ce ne sont pas Janet et Ric qui sont tombés amoureux, mais bien Dutch et Tenaj, tout est dans cette nuance. Ils se sont mis en cyberménage, ont adopté deux cyberchiens, se promènent sur la cyberplage, invitent leurs cyberamis et, bien sûr, font le cyberamour. Ils ne se sont jamais vus dans la réalité, ni même parlé au téléphone, mais ils sont cybermariés selon les rites de Second Life qui sont les mêmes que dans la vie, mais pas vraiment, parce que ça ne compte pas, enfin pas tout à fait.

Mme Hoogestraat commence a en avoir par-dessus la tête. Son mari est capable de rester dans Second Life de 6 heures du matin à 2 heures du matin. C'est un addict. Un samedi soir qu'il était parvenu à attirer Sue devant son ordinateur, il lui a présenté Tenaj par surprise : "Mme Hoorenbeek", a-t-il dit sobrement. Elle ne sait plus quoi faire.

Le couple Hoogestraat n'est pas une exception. On recense de plus en plus de couples brisés pour cause d'infidélité virtuelle. Peut-on pour autant classer ce genre de situation dans la catégorie des adultères au sens légal du terme ? Pas encore, répondent les juristes, même si les avatars peuvent se livrer à des simulations d'actes sexuels. En revanche, ajoutent-ils, la cyberbigamie peut être aisément retenue comme une cause de divorce, bien réel celui-là, et constituer un argument déterminant pour décider de la garde des enfants. Certes. Mais on n'a pas encore prévu le cas suivant qui va bien arriver un jour : si un couple virtuel se sépare, qui gardera les cyberbébés ?

Jacques Buob

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