Prix : Leroy couronné, Pennac consacré
Arrivée des courses à 13h à l’hippodrome de Drouant : 1er au Goncourt (10 euros défiscalisés et d’autres euros pas nets d’impôts) au 14ème tour de piste Gilles Leroy sur Alabama song (casaque bleue du Mercure de France), 1er au Renaudot au 10ème tour de piste Daniel Pennac sur Chagrin d’école (casaque ivoirée à liseré rouge de Gallimard). Le moins qu’on puisse dire est que le résultat est inattendu. Le fait est que cette année, il s’est passé “quelque chose” en coulisses que l’on peut reconstituer à travers des conversations tant “on” que “off the record” avec des membres des deux jurys. Il semble bien que cette fois, bien que ce ne soit pas la première, les pressions et manoeuvres ont atteint un tel niveau qu’un certain nombre de jurés se sont rebiffés. Gardons-nous d’en tirer des conclusions définitives sur la morale des prix littéraires ! Que s’est-il passé ?
D’abord l’élimination de la favorite Amélie Nothomb de la dernière liste de sélection du Goncourt. Ca n’a rien à voir avec la qualité de son livre : il se trouve simplement qu’un responsable de sa maison d’édition Albin Michel a cru bon écrire une longue lettre adressée à la présidente du jury Edmonde Charles-Roux : il y expliquait en substance que les Goncourt se déconsidéreraient en ne décernant pas leur prix à son auteur… Faut-il préciser que cette lettre a fait très mauvais effet du côté de Drouant et les a tant indisposés qu’elle a valu à la pauvre Nothomb de se faire éjecter de la liste ? Ensuite il y eut les grandes manouevres Grasset -Le Seuil (tu fais voter “tes” jurés pour mon auteur à un prix, je fais voter “les miens” pour ton auteur à l’autre prix). C’était tellement gros, voire grossier, et même insistant, qu’il y eut force téléphonages ce week-end entre les jurés du Goncourt et du Renaudot pour déjouer le petit business qui se concoctait. Olivier Adam et Christophe Donner en ont fait les frais. Sans ces maladresses, ils auraient probablement été laurés. En attendant, ils sont bernés.
L’ambiance était pourtant sans mystère et sans enthousiasme ce matin dans les escaliers normalement bondés et agités du restaurant Drouant. Rien à voir avec l’embouteillage hystérique de l’an dernier. Pas un cadeau de succéder à Jonathan Littell : 187 pages d’une histoire bien troussée sur les Fitzgerald, l’auteur s’étant glissé dans la peau de Zelda pour dire sa difficulté à exister à côté de Scott, ce pourrait être l’anti-Bienveillantes. Le roman, qui n’est surtout pas une biographie de la narratrice (bien que l’auteur ait fait une enquête documentaire, la plupart des évènements, des personnages et des lettres sont imaginaires), possède un vrai charme. Il emporte facilement. Mais il n’y a pas d’enjeu, ni dans le fond (l’aventure intérieure de ce couple mythique a été tellement analysée qu’elle est devenue un lieu commun de l’histoire littéraire américaine), ni dans la forme (assez conventionnelle). Gilles Leroy n’a pas pris de risque et il n’en fait pas courir à ses lecteurs. Ce sera certainement un honnête Goncourt pour ce qui est des ventes. Un roman qui emprunte son titre à Brecht (dans Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny), son épigraphe à Cartier-Bresson (”Quand on va au bal, il faut danser”) et qui pousse la délicattesse jusqu’à être dédié à son fidèle éditeur (Isabelle Gallimard) ne saurait être entièrement mauvais…
Pour le Renaudot, les grandes manoeuvres ont tout de même provoqué un coup de théâtre : le surgissement in extremis du Chagrin d’école de Daniel Pennac qui n’avait pas été sélectionné étant paru trop tard, grâce à l’action de Jean-Marie Le Clézio, Patrick Besson et Franz-Olivier Giesbert. Ce dernier s’en explique :”On dira que ce n’est pas un roman mais Le Château de ma mère non plus et tant d’autres ! C’est un livre fondamentalement marrant, qui met de bonne humeur et déculpabilise. Que voulez-vous de plus ? Le Renaudot a plusieurs vocations ; l’une d’elle est de donner un coup de chapeau à un bon auteur populaire méprisé par l’élite”. Giesbert a donc plaidé, Le Clézio exceptionnellement absent l’a appuyé en direct par téléphone depuis la Corée du sud (”Je ne connais pas l’auteur, j’ai aimé le livre et tant pis s’il est chez mon éditeur, je ne voterais pas pour Gallimard avant dix ans au moins !”) et Patrick Besson, président du jury cette année, a fait pencher la balance avec sa double voix. C’est ainsi que le candre Pennachionni a été consacré, ce qui aurait fait très plaisir à son papa. Voilà les raisons du choix, sans oublier que distinguer un livre qui est déjà numéro un ventes, c’est s’offrir la volupteuse perspective de voir le Renaudot 2007 se vendre davantage que le Goncourt 2007. Orgueil de jurés puisque dans les deux cas, c’est Gallimard qui emporte la timbale.
(Photos P.A.)
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