domingo, 25 de novembro de 2007

Barbara, intacte et lumineuse

Ce sont des champignons qui l'ont tuée, le 24 novembre 1997. Un bocal devenu poison dans les caves de la maison de Précy-sur-Marne. Ou bien un surgelé décongelé recongelé. Ou des amanites phalloïdes, des hallucinogènes, des morilles ou des cachets. Dès sa mort à l'Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine, les rumeurs transforment le "choc toxico-infectieux", cause officielle du décès, en mystère.

Noire et blanche, Barbara, disparue à l'âge de 67 ans après des années de santé fragile, de respiration bronchitique, était pourtant limpide. "Quand j'ai écrit Nantes, on a dit : elle est triste ! Non ! Mais tout le monde a perdu un père et moi j'ai pas inventé la mort... On se dirige vers la mort en passant par une chose éblouissante et terrible aussi qui est la vie. C'est un mensonge quand on dit qu'on avance vers la vie, on passe (emphatique) par la vie" (à François Deletraz dans "Opus", sur France Culture en 1993, restitué dans Le Temps du lilas, coffret édité ce mois-ci par Le Chant du Monde).

Peu importent les causes de la mort. Barbara est vivante puisque son public demeure et s'est même enrichi d'une jeunesse en culottes courtes quand elle finissait sa dernière tournée, épuisée, en 1994. La jeune génération de la chanson française en a fait une référence. Le dixième anniversaire de sa mort est l'occasion de la publication d'ouvrages souvent hagiographiques, où la suprême insolence consisterait à dévoiler l'identité de ses amours - le secret longtemps tu, l'inceste du père, révélé par elle-même dans un ouvrage posthume, Il était un piano noir... Mémoires interrompus (1998).

Barbara se protégeait. Rien de ce qu'elle ne voulait pas qu'on sache ne parut jamais. Par respect pour la "longue dame brune" selon Georges Moustaki qui l'aima, et sa pudeur, mais aussi parce que Barbara était une "femme piano" (titre de son ultime album en 1996) dont les chansons sont autant de miroirs tendus, aux amoureuses, aux adolescents, aux blessés.

SON AMANT LE DIPLOMATE

Monique Serf, née le 9 juin 1930, s'était rebaptisée du nom de la martyre chrétienne d'Héliopolis, jetée aux lions en 306. Barbara, du latin "barbare", "étranger". Etrangère aux lois communes, excessive, professionnelle, elle avait sapé dès 1954 les règles musicales en chantant d'une voix nue des classiques du répertoire français dans l'arrière-salle d'une friterie bruxelloise, puis Brassens ou Giani Esposito à L'Ecluse, cabaret parisien de ses débuts. Partout, elle chante. A Abidjan, en 1961, où elle rejoint son amant, le diplomate Hubert Ballay, pour qui elle écrira Dis, quand reviendras-tu ? avant de le quitter.

A Paris, en 1993, au Théâtre du Châtelet, s'adressant à son public : "Seuls vous et moi connaissons les sentiments extraordinaires qui nous unissent. C'est formidable la route que vous m'avez tracée. Il est vrai qu'à 63 ans, vous m'avez laissée intacte, vous m'entendez, intacte." Au passage, Barbara, intimement engagée (les prisons, la lutte contre le sida...), ajoutait à son répertoire Lily, de Pierre Perret, "la plus belle chanson antiraciste".

Sur cette alchimie politico-fusionnelle, Göttingen, chanson obligatoire de tous les récitals et compilations, renseigne. En 1964, Barbara chante à L'Ecluse. De jeunes admirateurs allemands l'invitent à Göttingen. Mais "l'Allemagne était comme une griffe", dira Barbara, femme juive, ayant passé une partie de son enfance à fuir l'occupant nazi et les camps de concentration - un sujet sur lequel elle est longtemps restée discrète. Aller en Allemagne lui cause des nausées.

Mais le pire, c'est qu'il y a une grève des déménageurs de piano à Göttingen, et qu'au lieu d'un demi-queue, il y a "un énorme piano droit, orné de deux chandeliers... Aucune possibilité de voir le public ni d'être vue." Impensable. Un groupe de jeunes étudiants ira récupérer le piano idoine chez une vieille dame. Alors, emballée, restituée au public, Barbara écrira Göttingen, chanson du pardon, comme le fut Nantes, destinée au père violeur.


Göttingen

Vêtue de noir et cloîtrée, la religieuse de la chanson française était surtout capable d'une écriture lumineuse, sensuelle, fluide. A peine, par exemple, sublime chanson d'amour composée en 1970, avec l'accordéoniste Rolland Romanelli, chanson qui figure sur l'album L'Aigle noir (l'inceste encore), paru en 1970. Elle est inscrite au formidable récital donné en 1974 au Théâtre des Variétés, réédité par Mercury-Universal, son label historique.

Véronique Mortaigne



Dis Quand Reviendras-tu

Voilà combien de jours, voilà combien de nuits,
Voilà combien de temps que tu es reparti,
Tu m'as dit cette fois, c'est le dernier voyage,
Pour nos cœurs déchirés, c'est le dernier naufrage,
Au printemps, tu verras, je serai de retour,
Le printemps, c'est joli pour se parler d'amour,
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris,
Et déambulerons dans les rues de Paris,

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus,

Le printemps s'est enfui depuis longtemps déjà,
Craquent les feuilles mortes, brûlent les feux de bois,
A voir Paris si beau dans cette fin d'automne,
Soudain je m'alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne,
Ton image me hante, je te parle tout bas,
Et j'ai le mal d'amour, et j'ai le mal de toi,

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus,

J'ai beau t'aimer encore, j'ai beau t'aimer toujours,
J'ai beau n'aimer que toi, j'ai beau t'aimer d'amour,
Si tu ne comprends pas qu'il te faut revenir,
Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs,
Je reprendrai la route, le monde m'émerveille,
J'irai me réchauffer à un autre soleil,
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin,
Je n'ai pas la vertu des femmes de marins,

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus...



Il pleut sur Nantes
Nantes, lundi 21 décembre 1959, il pleut, Barbara débarque à la gare.

En fin de matinée, alors qu'elle se reposait rue de Vitruve le téléphone sonne. Elle raccroche, devient blême, griffonne un mot à l'attention de sa mère : "Mon père est mort à Nantes, je pars". A la hâte elle prend le train pour Nantes.

Sous un ciel gris elle découvre la ville, se dirige vers la morgue de l'hôpital St Jacques. Son père avait quitté Paris, la rue de Vitruve, il y a dix ans, n'avait donné signe de vie à sa famille. Elle le retrouve dans ce lieu sordide et froid. Les formalités administratives accomplies, elle tient à en savoir plus sur la vie de ce père disparu depuis 1949. Dans un café du centre ancien de Nantes, elle rencontre Monsieur Paul. Ses amis l'appelaient Monseigneur à cause de son port altier, pourtant il menait une vie dans la marge. Elle apprend que son père l'avait vue à la télévision lors de son premier passage l'année dernière. Il était fier d'elle.Retour à Paris. Le patron du cabaret L'Amiral lui prête la somme nécessaire à l'enterrement. Elle regagne la rue de Vitruve. Son frère Claude l'attend, il tient à venir avec elle à Nantes.

Avec son frère ils couchent leur père au chaud de la terre du cimetière de la miséricorde de Nantes.

Le lendemain soir elle chante à L'Écluse.Le 28 décembre 1959 elle écrit sur une feuille :

Il pleut sur Nantes
Donne moi la main
Le ciel de Nantes
Rend mon cœur chagrin

Le temps va passer. Une mélodie lui vient sur les mots jetés sur le papier en 1962. Lundi 4 novembre 1963 à la veille de se produire au théâtre des Capucines, les mots affluent. Elle écrit, elle écrit.

Quelques heures avant son tour de chant elle marche dans le théâtre des Capucines, ses feuilles à la main, et d'un feutre elle noircit les feuilles, rature, déchire, recommence....

Le soir tombe, le spectacle va commencer. Pour la première fois elle interprète Nantes. Nantes est née. C'est le triomphe. Sa mère, sa sœur et ses frères présents dans la salle apprécient la chanson. Cette première version ne sera jamais enregistrée telle que. Il existe un enregistrement de cette premier interprétation. Cet enregistrement n'est pas commercialisé....

Quelques jours plus tard devant le succès rencontré aux Capucines, Denise Glaser l'invite à son émission Discorama et invente une pochette de disque pour inciter la maison de disque à enregistrer ce titre. Début 1964 Barbara enregistre sur disque CBS le titre. Quelques mois plus tard après avoir changé de maison de disque elle réenregistre pour Philips Nantes.

Et depuis à chaque spectacle en public, Nantes figure au répertoire. A Bobino en 1966 elle interprète Nantes. Elle interprète Nantes lors de l'Olympia 1969 , théâtres des variétés, Pantin 1981, Châtelet 1987, Mogador 1990 , et Châtelet 1993.

Un 22 mars 1986, le lendemain de la représentation de Lily passion à Nantes, Barbara assiste avec Gérard Depardieu à l'inauguration de la rue de la grange au loup à Nantes. Cette rue est dans un quartier neuf de la ville. Elle est émue...

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