sábado, 10 de novembro de 2007

Les grèves Sarkozy et Thatcher, par Eric Le Boucher

Un dessin de Steve Bell, publié sur le site du quotidien d’information britannique 'The Guardian'. |http://www.guardian.co.uk/cartoons/stevebell/archive/0,,1284265,00.html

Un dessin de Steve Bell, publié sur le site du quotidien d’information britannique "The Guardian".
Sarkozy au pied de Bush.




En ce novembre du mécontentement qui s'ouvre, on s'interroge sur la méthode des réformes de Nicolas Sarkozy. Est-ce bien la bonne ? SNCF, RATP, fonctionnaires, juges et maintenant étudiants : et si tout coagulait ? Fallait-il que le président de la République ouvre tant de dossiers à la fois pour qu'ils fassent masse ? "Il ne faut pas vous inquiéter", a-t-il dit, mardi 6 novembre à Washington, aux grands patrons français et américains du French-American Business Council. Mais, s'il l'a dit, c'est justement parce qu'il sait que les milieux économiques français s'inquiètent.

Ils ont vu, depuis six mois, le président de la République utiliser la vitesse. Le logement, les heures supplémentaires, la fiscalité, le service minimum, l'université, le nombre de fonctionnaires, la carte judiciaire ont fait successivement l'objet de réformes. Mais, sur chacune, la tactique a été la même : le président a engrangé ce qu'il pouvait, et il s'est arrêté à la première contestation, l'oeil vissé sur les sondages et sur sa cote de popularité. D'où le commentaire critique de "réformes faites seulement à moitié". D'où le questionnement maintenant que le cas des régimes spéciaux bloque. La contestation devient grosse, que va faire Nicolas Sarkozy ? "Je tiendrai, a-t-il assuré. La France a trop reculé par le passé, elle ne peut plus reculer."

En fait, les milieux économiques ne craignent pas vraiment un recul. Ils savent que le président n'a pas le choix. S'il cède, il est chiraquisé. La rupture n'aura pas duré, Nicolas Sarkozy n'aura été qu'un tigre en papier. Il n'y a donc pas trop de risques, quelle que soit la durée des grèves, que le président renonce à ses projets. L'enjeu réel de ce mois de novembre concerne les confédérations syndicales les plus sérieuses. Tout comme les patrons, elles savent qu'au pied du mur le président ne peut pas céder. Mais elles doivent suivre leurs troupes pour ne pas les voir partir chez leurs concurrentes radicales. Ce faisant, elles redoutent d'être entraînées trop loin par les gauchistes, puis de perdre et de laisser libre champ au gouvernement pour les deux réformes, bien plus importantes, qui vont venir : celle du code du travail et celle de l'Etat. Le vrai test de ce mois de novembre n'est pas pour Sarkozy mais pour les syndicats, à commencer par la CGT. Non, l'interrogation de fond porte sur la méthode des réformes : la vitesse et l'engagement personnel ne donnent ni un ordre ni une cohérence d'ensemble.

Comment avait fait Margaret Thatcher ? On connaît les différences de situations entre la Grande-Bretagne de 1979 et la France de 2007, elles sont colossales ne serait-ce que parce que nombre d'idées de la Dame de fer sont déjà passées en France - les privatisations par exemple. Les syndicats sont trop forts là, faibles ici. Il n'y a rien à voir non plus entre la méthodiste qui admirait la rigueur de son épicier de père et lui qui aime les yachts. Surtout, trente ans ont passé.

Mais l'examen des méthodes est instructif. Quelles divergences ! "Pour ce gouvernement, dit Mme Thatcher au Times début 1980, ce qui compte ce ne sont pas les cent premiers jours. Ce sont les cinq ans qui viennent et encore cinq ans de plus (...). Nous devons remettre ce pays dans une nouvelle direction. Cela prendra du temps." Et cela en prendra, en effet : pendant trois ans les résultats sont désastreux, le chômage monte en flèche, la popularité des conservateurs plonge. Mais Maggy ne cède pas. La première divergence est donc celle du temps.

La deuxième porte sur le fond : "La vraie réforme ne se trouve pas dans les grands discours mais dans les actes et surtout dans la loi de finances", note Jean-Louis Thiériot dans son excellente biographie (Margaret Thatcher, de l'épicerie à la Chambre des Lords, éditions de Fallois). La priorité est de réduire les dépenses (les faire passer sous les 5 % du PIB à l'époque !), de rendre la livre flottante et d'échanger une baisse des impôts contre une hausse de la TVA. C'est un big bang. La livre va s'envoler, renchérissant le made in England. Bien peu de ressemblances avec notre président. On peut même dire qu'il fait le contraire : une politique budgétaire dans la ligne de son prédécesseur, un abandon de la TVA (dite sociale) et un rêve de dévaluation de l'euro...

Troisième divergence, et nous y revoilà, les syndicats. Mme Thatcher est, au début, modérée. Il n'est pas possible de tout réformer à la fois, "elle choisit la politique du grignotage", explique Jean-Louis Thiériot. Elle commence par les bouder ostensiblement, ils codirigeaient le pays, elle ne les reçoit pas. L'inverse du président français, qui les voit et les revoit en essayant de les rendre réformistes. Comme lui, en revanche, elle s'appuie sur l'opinion contre les grèves qui bloquent le pays. La grande bataille n'aura lieu que bien plus tard, au deuxième mandat, après qu'elle aura gagné la guerre des Falkland et que les premiers bons résultats économiques seront arrivés, en 1984, contre les mineurs. L'offensive - la fermeture des puits non rentables et 64 000 suppressions d'emplois - avait été préparée plus ou moins secrètement, de très loin, notamment en accumulant des stocks de charbon pour alimenter les centrales électriques. Mme Thatcher gagne au bout d'un an, non sans brutalités.

Sarkozy-Thatcher ? Les objectifs sont les mêmes, mettre fin au déclin, redonner du dynamisme, récompenser le mérite et le travail. Le pragmatisme aussi est commun. Mais, pour le reste, c'est un constat dont il ne faut tirer aucune conclusion : le président français fait tout à l'envers.

Eric Le Boucher - Le Monde

Nenhum comentário: